Je ne veux pas m'attacher au lieu. Je ne veux pas prendre des habitudes. Je sais bien que je ne resterai pas longtemps ici. J'ignore pourquoi, mais je change souvent de famille d'accueil, au bout de quelques semaines. Cela se passe toujours bien, je ne subis aucune maltraitance, et pourtant, je ne cesse de me balader dans tout Seattle et ses environs. On va dire que je connais cette ville comme ma poche. Mais je préfèrerai ne plus bouger... Rester à un endroit précis. Vivre comme tout le monde.

Mais pour cela, je sais qu'il va falloir attendre mon prochain anniversaire, lorsque j'aurais dix-huit ans, pour être enfin libre. Je pourrai intégrer une université, prestigieuse ou non, je m'en fiche, et vivre dans une résidence. Et plus personne ne porra me forcer à partir. J'ai hâte. Mais je dois être patient. D'ici là, je devrais avoir changer au moins quatre fois de familles d'accueil. J'ai l'impression d'être qu'un vulgaire objet par moment.

Je n'ai jamais voulu savoir qui étaient mes vrais parents, et pourquoi m'avoir ainsi abandonné. Je m'en fiche à vrai dire. S'ils voulaient me récupérer, je ne pense pas que l'administration aurait refusé bien longtemps. Ils n'ont jamais fait partie de ma vie, et je ne veux pas les connaitre. Ils ont continué leur vie sans moi, et c'est peut-être mieux ainsi. Je n'ai pas besoin d'eux pour savoir qui je suis. Je sais que je suis Joey Davis, un mec asocial et renfermé qui refuse de parler aux autres.

Je n'ai pas d'ami, et je ne veux pas m'en faire. Certes, il m'est arrivé de sympathiser avec des personnes quand j'étais dans un lycée, mais je n'ai jamais gardé le contact une fois que je suis parti. J'ai du en briser des coeurs, de cette manière. Cela m'embête, évidemment, mais sans plus. Moi, j'ai appris à ne pas m'attacher aux gens. Peut-être qu'un jour je les recroiserai, mais dans le cas contraire, cela ne me chagrinera pas plus que ça. Jamais je ne m'attache. Jamais.

-Joey, ça te dit de sortir un peu ? Propose soudain Rodney, tout en entrant dans la chambre de l'adolescent. Ce dernier sursaute, ne s'attendant pas à avoir de la visite.

-Bof, ça me tente pas trop. Refuse-t-il simplement en haussant les épaules.

-Tu es resté enfermer dans ta chambre depuis ton arrivé, cela te ferat du bien de prendre l'air. Et le coin est sympa. Tente-t-il de le convaincre.

-Sans doute, mais je suis bien ici. Assure le jeune homme de dix-sept ans.